Voyage au debout de la nuit

Un petit goût de fin du monde. C’est ce que je me suis dit ces derniers mois au vu des événements.

Le premier point est personnel puisqu’il s’agit de la mort de mon père Gérard Dhotel. Mais il est aussi lié au reste, puisque par sa plume il était un acteur pédagogique et intellectuel de l’analyse et de la critique de notre actualité. A nouveau, et comme je le ferai souvent, je lui rends ici hommage.

Je mentionnerai d’abord la catastrophe écologique. Elle est telle qu’on ne peut l’imaginer, qu’on ne veut l’imaginer. La matraitance que l’on fait à notre planète est multiple et intense. Il nous faudra penser davantage à une refonte de la société et de notre mode de vie, plutôt qu’imaginer un timide développement durable, pour imaginer se tirer de ce lisier. D’une part, on a développé une économie nucléaire qui  risque de nous tuer par sa dangerosité et sa vulnérabilité, et  qui est économiquement non viable. D’autre part, l’utilisation d’energie fossile et notre mode de vie provoquent un réchauffement climatique incroyablement élevé. Et ce n’est pas les promesses de la COP21 qui vont arranger les choses. Même si de plus en plus d’initiatives écologistes émergent et que la sensibilisation de la masse et du politique se développe, le glissement vers la catastrophe semble difficile à arrêter.

La fin du monde, c’est aussi le terrorisme. L’attentat de Charlie Hebdo en janvier, bien sûr, et ceux qui ont suivi, visant l’hypercacher. Puis ce fut les attentats de novembre, terriblement sanglants. Sans oublier les multitudes de tueries à l’étranger, que cela soit près de chez nous (en Belgique par exemple) ou sur d’autres continents. Le gouvernement français, au lieu de tenter de sauver ce qui pouvait l’être, c’est-à-dire une vie de qualité pour chacun d’entre nous, a préféré tenter de lutter par la répression. Ce programme, qui pourrait être louable, n’a prouvé son efficacité que dans la restriction de la liberté de penser et d’agir. Ainsi, des militants écologistes ont été emprisonné chez eux (n’ayons pas peur des mots) par la simple supposition qu’ils pouvaient perturber la COP21. Lorsque l’on voit les lois votées, celles du renseignement en 2015 ou la prolongation de l’état d’urgence à titre d’exemple, nous pouvons, nous devons nous demander à quel prix nous voulons nous protéger. La menace terroriste existe bien entendue, et elle a prouvé qu’elle était dévastatrice. Mais est-ce les bonnes solutions qui sont mises en place ? Celles du court terme, c’est sûr. Mais éliminer les branches n’empêche pas l’arbre de pousser. Non, je n’ai pas de réponse toute faite à vous proposer pour éliminer le risque terroriste dans l’heure. Et ce n’est pas mon propos. Mais je sais que continuer ainsi à entretenir la haine et la paranoïa risque d’entretenir le terreau du terrorisme davantage que de le supprimer.

Enfin, je parlerai de la fin du socialisme. Je ne comprends pas pourquoi le parti socialiste français conserve ce nom. Lui-même se dit que très peu socialiste. Et, il est vrai, en regardant la politique mise en place, que je cherche toujours où il est question de social. Le changement de Constitution aurait été une catastrophe humaniste et Georges Orwell aurait pu se venter d’avoir écrit non pas de la science-fiction, mais une vrai anticipation de la société à venir. Heureusement, et ça me fait mal de le dire, la radicalité et l’inflexibilité de la droite ont fait capoter le projet qui, je le rappelle, nécessite l’approbation des deux chambres. Le problème étant que le projet n’a pas été abandonné par la pression du nombre de ses opposants mais par le parti des Républicains. C’est à en pleurer. Autre bonheur d’une politique socialiste : la loi El Khomri. Pourquoi voter à gauche si celle-ci propose une loi encore pire que feu le CPE (Contrat Première Embauche) ? Vous rêviez du système anglais, Hollande l’a fait ! Plus besoin de CDD, puisque le patron devient seul maître à bord, capable de signaler votre arrêt de mort (entendez licenciement) en prétextant soit votre refus d’obéir à une négociation d’entreprise inégale, soit parce qu’il aura subit une petite baisse d’activité (sans forcément qu’il y ait un déficit d’ailleurs) ou sans raison particulière, mais sans risquer de payer une lourde amende s’il venait à votre esprit de vous plaindre aux prud’hommes, puisque les amendes seront plafonnées. Cette loi s’ajoute aux multimes mesures pro-patronat décidées et assumées par le pouvoir en place. Y a-t-il eu une baisse du chômage pour autant ? Non. Et les salariés ont vu leurs conditions de travail dégradées. Qui relancera la demande dans les entreprises si plus personne n’a de travail ? Comme un des intervenants le dit dans le film Demain (à voir absolument), on marche sur la tête. Complètement.

 Tout cela m’a donné vraiment à désespérer. Et j’avais l’impression que le peuple, blasé, ne réagissait, et ne réagirait plus à la violence qui lui était faite. Mais ce que j’ai vu ces derniers soirs me donne enfin à espérer.

J’ai assisté à la quatrième Nuit debout, celle du « 34 mars ». La première suivait alors une grande manifestation exprimant l’opposition d’une partie du peuple, travailleurs et étudiants, chômeurs et retraités contre la loi El Khomri – la loi « Quelle connerie ! » comme s’amuse à l’appeler plusieurs de ses détracteurs. Cette première nuit avait pour objet de continuer la lutte, par des discussions mais aussi par des concerts et par la projection de Merci patron !, excellent film d’action directe réalisé par François Ruffin, rédacteur en chef du journal Fakir. L’ambiance y était agréable, je sentais un souffle neuf, dynamique, de changement. Apprenant avec plaisir et intérêt que cette première nuit ne serait pas unique et avait contribué à en créer une suite et un mouvement, je suis allé me rendre compte de son évolution ce dimanche soir.

19h : l’Assemblée Générale commence. Une masse d’individus de tous bords sont assis en hémicycle, au bout duquel se trouve ceux qui prennent la parole. Les règles de l’AG sont d’abord énoncées, rappelant le fonctionnement et comment le mouvement s’est créé. Le micro passe de main en main, chacun expliquant son rôle et comment l’AG va se dérouler. Derrière la foule assise, des centaines de personnes ferment debout le demi-cercle. Tous, nous sommes attentifs. Fiers d’être là pour ce renouveau démocratique. Et, surtout, curieux de voir ce que va donner cette AG de rue, résultant d’un groupe auto-créé, autogéré. Des signes sont proposés à l’assemblée, afin d’exprimer de loin son approbation ou son agacement, pour pouvoir demander la parole ou pour exprimer à l’intervenant qu’il ne parle pas assez fort. Ils sont en partie repris à ce qui se faisait en Espagne, par les Indignés. Puis, les organisateurs font appel à des volontaires pour distribuer les rôles pendant l’AG : le rédacteur ou la rédactrice, le facilitateur, des personnes récupérant la parole de ceux de l’assemblée voulant participer, le modérateur, etc. Une fois les règles établies et les personnes définies, l’assemblée peut commencer. L’équipe et les participants se sont organisés en commissions les jours précédents : une commission « démocratie », une autre  » accueil et sérénité », celle « action », la commission « cuisine »,  l’équipe « communication », celle, essentielle, de la logistique, etc. Chacune de ces commissions a présenté devant l’assemblée son rôle et ses réflexions. Puis ce fut le temps des votes et des débats. Cette partie appelle la participation de l’ensemble des personnes présentes. Tout le monde peut s’exprimer à la tribune. Tout le monde peut voter à main levée de là où il est. Le vote se fait par un applaudissement silencieux, de la même manière que par les sourds, les bras en l’air, pivotant de droite à gauche. Malgré de petites erreurs de modération et de gestion de l’assemblée, l’ensemble était assez extraordinairement organisé. Il y a une certaine forme de magie à voir des mouvements proches de ce qui s’est fait en Espagne, avec les Indignés, ou aux Etats-Unis, avec Occupied Wall Street, émerger en France, à Paris. « Nous sommes 2000 ! » a crié une des bénévoles. Plusieurs centaines de personnes serait un chiffre plus juste, mais l’enthousiasme est là ! Et c’est le principal. L’appel à participation fonctionne ! Et la convergence des luttes, qui est la pierre angulaire de ce rassemblement continue !

Mardi soir, je suis retourné sur la place. Le rassemblement avait été maintenu. Et les manifestations étudiantes de la journée ont grossi l’assemblée. La place était noire de monde. D’un bout à l’autre. D’un côté se trouvait l’énorme AG de la Nuit Debout, où une place d’honneur était laissée aux sans-papiers et aux réfugiés, indignés du traitement qui leur été réservé dans le pays des droits de l’homme ! De l’autre côté de la place, les organisations lycéennes et étudiantes se sont réunies à part. Entre les deux, des jeunes (et des moins jeunes) se sont installés par petits groupes sur la place, pour profiter du beau temps tout simplement. A la République, la vie parait avoir repris son droit, dans le respect, la lutte et la bonne humeur. J’espère que cela continuera ainsi. Et que les problèmes de communication et de pouvoir, que l’individualisme ne prendront pas le dessus sur la belle philosophie qui y est construite.

C’est une occupation démocratique de la place qui est faite. Cette place de la République qui a été réaménagée peut revendiquer aujourd’hui, haut et fort, l’exactitude de son patronyme. J’ai eu cette chance, de voir émerger une démocratie directe dans la rue. J’aurais peut-être la chance de participer à cette révolution citoyenne, à cette indignation si essentielle dans une société telle que la notre. Si demain, chaque pays d’Europe, chaque pays du monde a son Podemos, réussit à créer sa démocratie directe, participative, respectueuse et humaine, alors nous pourrons dire, qu’enfin, nous aurions gagné. La politique existera toujours bien sûr mais elle redeviendra res publica, la chose publique. Les partis n’auront plus à exister puisque chaque personne pourra donner sa voix aux idées, son vote aux « programmes » proposées. Les représentants feront circuler les idées votées, sans détenir le pouvoir assimilé. Les fonctionnaires, spécialisés et professionnels, permettront de mettre en pratique ces décisions communément prises. Mais ce fonctionnement utopique ne pourrait fonctionner qu’en rendant les clefs de l’éducation aux hommes. Là où la violence se crée, où l’irrespect persiste, où le racisme prend ses racines, l’éducation en est absente. Une telle démocratie demande que chaque individu soit citoyen. C’est-à-dire qu’il soit capable de participer à la res publica, de former des idées, de les défendre, d’établir un jugement. Une personne, de part son histoire, qui ne fonctionne que par la haine ou que par ses émotions, ou sans émotions, ne pourra être dans l’immédiat un maillon efficace de la chaîne démocratique.

La vraie démocratie est en marche. Mais elle a encore bien du chemin pour gagner toute son efficacité. Et transformer notre société.

Rendez-vous ce soir et tous les autres soirs de la semaine sur la place de la République pour découvrir le mouvement Nuit Debout et pour y participer à votre tour.

Utilisons ce que nous a donné de mieux l’Histoire pour la construire à notre tour.

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